« Ne faites rien pour nous sans nous !».

Le mouvement vers l’inclusion des personnes en situation de handicap transforme les habitudes de travail des professionnels qui se mobilisent pour eux. Le groupe réunissant les Ueros de la Fagerh a programmé une journée nationale en octobre dernier avec la volonté de faire participer les usagers à leur rencontre. Retour sur l’organisation et les conditions pour impliquer les bénéficiaires à nos travaux.

 

Céline Sellier, Psychologue Neuropsychologue et Coordonnatrice à l’UEROS de Fontenailles a orchestré avec le groupe des Ueros le programme et le déroulé de la journée. L’implication des usagers était naturelle et prévue dès le départ.

Plusieurs niveaux de participation

« Nous sommes partis du principe qu’ils avaient leur place à cette journée en tant qu’acteurs de leurs parcours et partie prenante dans le fonctionnement des Ueros. Nous avons donc encouragé les professionnels à venir avec un usager. Quinze personnes se sont ainsi inscrites soit environ 10% des participants ». Les bénéficiaires étaient donc bien présents dans l’amphithéâtre du ministère de la Santé, dans la salle avec la possibilité de participer aux échanges mais aussi sur scène puisque la journée a commencé avec l’intervention d’un ancien usager de l’Ueros de Fontenailles et était rythmée par des vidéos de bénéficiaires. « Ouvrir la journée avec une personne accompagnée nous semblait symbolique et pertinent. C’est elle qui a construit et écrit son discours même si bien entendu, nous l’avons aidée à préparer son intervention. Pour les vidéos, nous avons discuté avec les usagers et dégagé avec eux les thématiques ». Si les bénéficiaires n’étaient pas directement impliqués dans l’organisation de la journée, leur participation a donc influencé les sujets abordés.

Un dynamique pour les professionnels comme pour les usagers

L’implication des usagers permet aux professionnels de bénéficier de leur expertise : ils savent mieux que quiconque ce dont ils ont besoin. « C’est aussi pour nous et pour nos partenaires qui n’œuvrent pas toujours sur le terrain, un rappel important du sens de nos missions et de la finalité de notre travail » ajoute Céline Sellier, précisant que les bénéficiaires ont, eux aussi, profité de la rencontre. « Ils deviennent plus acteurs de leur parcours, ils ont la possibilité d’intervenir, de donner leur retour : c’est l’intérêt de leur expérience qui est ainsi reconnu».

Préparer et accompagner

La participation des usagers implique accompagnement et préparation. A Fontenailles, des rencontres ont permis d’expliquer aux bénéficiaires le sens de leur présence à la journée, le programme leur a été transmis et bien entendu les questions de logistique ont été abordées.

Des retours très positifs … et des limites

Pour autant, hors quelques questions, la contribution aux débats des usagers est restée discrète. Si les bénéficiaires invités se déclarent ravis de leur participation, une première analyse des questionnaires de satisfaction pose la question de l’accessibilité, certains trouvant difficile de suivre l’intégralité des échanges. De même, le rythme de la journée n’était pas adapté aux personnes cérébro-lésées sujettes à une grande fatigabilité. Ces retours montrent toute la complexité de croiser la volonté d’inclure les bénéficiaires avec l’objectif d’organiser une rencontre riche d’interrogations et de réflexions pour les professionnels.

Luc Jammet : intervention d’un usager devant des professionnels

À la suite d’un AVC, Luc Jammet a été accompagné par l’Ueros de Fontenailles en 2016. Il a relevé le défi de raconter son parcours au ministère de la santé devant près de 150 professionnels et pairs. Loin de l’improvisation, son intervention a été réfléchie à l’avance. Pour lui, la participation de bénéficiaires est une idée utile et intéressante mais qui demande de la préparation.

" Pour témoigner devant des professionnels et leur amener matière à réflexion, il faut de la « densité ». Quand Céline m’a proposé de faire l’introduction de la journée, j’ai travaillé sur mon intervention, d’abord seul puis en échangeant avec elle, pour fluidifier mon discours mais aussi pour prendre du recul car il ne s’agissait pas seulement de raconter mon parcours individuel mais aussi de témoigner pour les autres usagers. En participant à la journée, j’ai eu une double satisfaction. Refaire une intervention en public fait écho avec ma vie professionnelle précédente et c’était un challenge que je souhaitais relever. Je voulais aussi raconter mon parcours à l’Ueros de Fontenailles qui m’a marqué. Témoigner sur cette structure qui m’a été très utile est une manière de « verser son éco » pour faire avancer les pratiques. La participation d’usagers, c’est l’occasion de battre en brèche les certitudes de professionnels ou au contraire de les conforter dans leur projet ".

L’expérience Québécoise

Le groupe Ueros a invité une association canadienne, l’AQTC (Association Québécoise des Traumatisés Crâniens), à intervenir lors de leur rencontre du 1 er octobre, l’occasion de découvrir d’autres modalités de travail et d’inclusion des usagers aux pratiques professionnelles.

L’AQTC accompagne des personnes cérébro-lésées vers une meilleure inclusion dans la société, par exemple dans le cadre d’activités de loisirs. Pour les bénéficiaires, l’objectif n’est pas la réinsertion en milieu ordinaire de travail mais le maintien des acquis développés lors de leur parcours en réadaptation sanitaire.

A l’instar de la très grande majorité des associations Québécoises, les usagers sont intégrés dans le fonctionnement et la gouvernance. Une évidence pour Pascal Brodeur, Adjoint à la direction de l’AQTC. « L’association a été créée il y a 32 ans par des personnes qui ont subi un traumatisme crânien. C’était donc naturel de laisser de la place aux usagers dans notre organisation. Trois bénéficiaires siègent à notre conseil d’administration et un des fondateurs est salarié. Des équipes d’usagers à qui nous apportons l’accompagnement et les outils nécessaires écrivent notre journal, se mobilisent pour des actions de sensibilisation et de prévention ou encore organisent notre comité loisir. Nous nous appuyons sur l’expérience professionnelle, les compétences et les forces de chacun. Par exemple, une personne qui auparavant était professeur de danse aérobie a monté avec notre aide un atelier de danse. Nous avons aussi des activités menuiserie, yoga, théâtre, percussion... Travailler exclusivement avec des professionnels pourrait sembler plus simple et efficace mais serait moins utile à terme. Ces activités sont un premier pas vers l’insertion et confortent leur confiance en eux. Pour les personnes qui participent à des ateliers animés par des traumatisés crâniens, c’est un exemple à suivre qui les incite à identifier les forces et compétences qui leur restent. Pour encourager cette dynamique, dès la première rencontre avec l’usager, nous l’interrogeons sur sa possible participation à un atelier, ensuite, éventuellement et sans l’imposer, nous suggérons des idées d’actions ou d’animations. Pour les professionnels, travailler avec les bénéficiaires prend du temps mais c’est surtout très valorisant : voir la personne s’impliquer et évoluer donne sens à notre travail ».